Dans les bras d'Orchydia
Date 12.02.2004
Afficher l'article
PLUME. Le tantrisme par les mots ? C’est possible. Reportage dans un atelier d’écriture très particulier.
Dans l'arrière-salle d'une librairie coquine de la rue des Bains à Genève, une dizaine de personnes attendent sagement, assises en rond sur une chaise, la maîtresse de soirée. Six femmes, trois hommes. Un peu anxieux - ils savent bien que chez Orchydia, qui depuis trois ans propose des ateliers d'expression érotique, un atelier d'écriture est beaucoup plus qu'un atelier d'écriture. Ils se retrouvent vite debout, en cercle, à rattraper et renvoyer leur bonjour à leur voisin comme un ballon. Présentations. On se tutoie. Presque tous connaissent déjà la formule, et en redemandent.
Au menu ce soir, l'écriture tantrique. «Le tantra a changé ma vie, je suis donc très curieux d'essayer d'écrire dans cet esprit», se lance un quinqua habitué de l'Espace du possible, ce camping-référence du développement personnel stigmatisé par Houellebecq dans «Les particules élémentaires». «Moi, je ne vois pas du tout ce que ça peut être» : lui, c'est le garçon amené ici par sa copine parce qu'il aime taquiner la plume. Mais avant l'écriture, la mise en condition : d'abord, déposer son ego dans la cage à legos idoine, histoire de perdre ce sens du ridicule qui bloque son candidat au lâcher-prise le plus motivé. Puis, debout, le groupe déambule lentement en regardant les autres dans les yeux. But : choisir un partenaire. «Trouvez-vous un coin tranquille et continuez le contact visuel avec votre partenaire !» Oui Orchydia. Donc, regarder un inconnu dans les yeux durant trois longues minutes. Etrange, fascinant. Passé les premiers rictus nerveux, vous plongez dans le regard de l'autre comme dans un paysage sans fond. «Sans parler, laissez maintenant votre voix s'exprimer». Vous vous lancez. «Ah», rauque et timide. «MMMh», plus fort, sans quitter l'autre des yeux. « ah aah aaah ! ! !» ça y est, vous êtes lâché. Vous vous mettez à babiller comme un perroquet, un ouistiti et un bébé bavard réunis.
Mais déjà Orchydia distribue les consignes d'écriture : «Décrire une rencontre érotique avec un dieu/déesse. Détailler l'univers, le contexte, la rencontre érotique. Terminer par le seul dialogue de l'échange : poser à la divinité une question essentielle à votre vie. La divinité y répond.» Vingt minutes pour écrire. Aïe. Votre enfant intérieur enfin libéré n'a pas envie de se concentrer pour improviser un récit qui se tienne. «Encore dix minutes...» ça y est. Ma déesse m'a léché les pieds et permis de toucher son sein. Pause vin rouge et chocolat.
Puis lecture des textes. Silence religieux. Le taquin n'a rien écrit. «Finalement, toute l'écriture est tantrique, puisqu'elle consiste à canaliser les mots et les émotions multiples que nous recevons», s'émerveille le linguiste. «Merci, tous ces textes, c'est cadeau», murmure Orchydia. Il est l'heure de se quitter. On se découvre chaviré par l'étrange intensité de ce partage. «Aimer, c'est créer !, sourit Orchydia. L'énergie érotique ou amoureuse est une énergie créatrice. Si je peux aider les gens à libérer cette créativité, je suis heureuse. Pour cela, il faut accepter de sortir de sa zone de confort, choisir de transgresser les modèles qu'on a reçus, qu'on s'est construits. Oser.» Oser, anagramme de... Eros. Cqfd.
L’Hebdo, Isabelle Falconnier, 12 février 2004 |
|